Les hôpitaux sont en plein boom. Nombre d’entre eux ont été construits dans l’après-guerre et ont besoin d’une grande rénovation afin de pouvoir répondre aux futurs besoins. Un coup d’oeil sur le passé et sur les grands développements des édifices sanitaires modernes peut s’avérer utile pour la conception de ce genre de bâtiments et les défis qui les attendent.

Le concept d’«hôpital» est dérivé du latin «hospitium», qui signifie hospitalité. Les premiers hôpitaux sont nés au Moyen-Âge et servaient d’institutions générales d’assistance publique. La plupart étaient dans des villes et étaient exploités par des institutions religieuses. Ces hôpitaux pré-modernes offraient des soins infirmiers, ainsi que des prises en charge de vieilles personnes, de pauvres, d’invalides, de malades et de pèlerins.

Hôpital de l’Île Berne 1884. Le complexe, construit dans un style pavillonnaire de onze bâtiments répartis symétriquement sur un axe central et dont chaque bâtiment exerçait une fonction différente, comme des pavillons d’isolement ou d’administration et de communs.

Image: wikipedia

La naissance de l’hôpital moderne au 19ème siècle

L’hôpital moderne s’est développé durant l’ère industrielle du 19ème siècle. Les villes grandissaient très vite et le prolétariat vivait et travaillait dans des conditions très précaires. Alcoolisme et maladies, comme le choléra, accompagnaient cette urbanisation effrénée. Le besoin de services sanitaires a énormément augmenté. La médecine faisait des progrès considérables et de nouvelles disciplines scientifiques naissaient à foison. Les hôpitaux ne prodiguaient plus que de soins médicaux; les autres patients, comme les personnes souffrant de maladies psychiques, étaient prises en charge dans d’autres institutions spécialisées.

Durant la modernité, les communautés religieuses ont petit à petit cédé le terrain aux institutions de la Bourgeoisie et des administrations publiques. Ces dernières accordaient beaucoup d’importance à une expression esthétique des bâtiments sanitaires représentative du pouvoir étatique. Le premier hôpital cantonal de Zurich est exemplaire à ce titre et fut construit entre 1837-1842 par les architectes Leonhard Zeugheer et Gustav Albert Wegmann à la Rämistrasse, sur le site des redoutes démolies à la périphérie de la ville.

On essayait de répondre techniquement au besoin accru d’hygiène: l’hôpital cantonal était le premier bâtiment de Zurich intégrant des toilettes avec chasses d’eau; les patientes et les patients souffrant de maladies infectieuses étaient cantonnés dans de bâtiments annexes. Le corps central du bâtiment s’élevait sur trois étages et était réservé à la direction. Les ailes réservées aux patients comptaient deux étages et séparaient les hommes des femmes; les chambres étaient réparties alternativement avec les locaux de fonction du personnel au fil de long corridors, afin de garantir une surveillance continue. Un grand auditoire complétait le programme et servait de salle de conférence à l’université fondée en 1833. La structure et l’organisation proche d’une caserne de cet hôpital emblématique rappelle un peu les écrits de Michel Foucault au sujet des mécanismes de pouvoir en milieu sanitaire.

L’hôpital de l’Île bâti à Berne en 1884 suit un autre principe de construction. Il s’agit d’un complexe pavillonnaire de onze bâtiments répartis symétriquement sur un axe central et dont chaque bâtiment exerçait une fonction différente, comme des pavillons d’isolement ou d’administration et de communs.

La tendance générale de construire des groupes de bâtiments de diverses fonctionnalités a été encouragée par la différentiation croissante au sein même de la médecine clinique. On a ainsi construit des cliniques pour enfants et femmes, ou encore des cliniques d’ophtalmologie et d’oto-rhino-laryngologie. L’évolution de la chirurgie a également motivé le développement du milieu hospitalier dès 1870. Une vague de nouvelles constructions d’hôpitaux régionaux et de districts a déferlé, dont le nombre est passé de 60 à 190 en Suisse. En plus des communes, les cantons sont devenus des acteurs de plus en plus impliqués: aux alentours de 1900, pratiquement tous les chef-lieux disposaient de leur hôpital cantonal. Et dans les villes universitaires comme Zurich et Bâle, les soins médicaux étaient accompagnés de la recherche et de la formation des médecins. Les grands hôpitaux sont ainsi devenus des conglomérats de cliniques indépendantes.

Sanatoriums et Nouvelle Construction après 1900

Les sanatoriums représentent un type particulier d’établissement de santé, qui a été construit dans les Préalpes et les Alpes pour des cures contre la tuberculose. Ces cliniques d’altitude reprenaient à leur compte d’importantes impulsions du mouvement Lebensreform et marquent la transition de l’historicisme vers la Nouvelle Construction, basée notamment sur les nouvelles connaissances en matière d’hygiène et de médecine, et visant à lutter contre les conséquences négative du développement urbain. L’architecture des sanatoriums se caractérisait notamment par les terrasses où les patients étaient exposés à un maximum d’air pur et de lumière. Tandis que les premiers établissements de cure – comme la fameuse Schatzalp décrite par Thomas Mann dans «La Montagne magique» – se situaient encore dans la filiation des grands hôtels, les bâtiments érigés dans l’entre-deux guerres s’inscrivaient dans le mouvement de la Nouvelle Construction. Le sanatorium de la clinique thérapeutique zurichoise à Davos-Clavadel, construit en 1930-1932, en est le prototype emblématique. L’architecte Rudolf Gaberel a tenté d’y réunir les dernières connaissance médicales avec les principes de «l’habitat libéré» de Siegfried Giedion. Les terrasses sans piliers devaient offrir un maximum d’ensoleillement et les vitrages des salles de repos à l’extrémité du bâtiment laissaient passer les rayons UV. Gaberel a d’ailleurs lui-même conçu le design des lits et autres aménagements intérieurs en collaboration avec le médecin-chef de la clinique, afin d’en maximiser l’unité et la fonctionnalité.

Ancien hôpital cantonal de Zurich:  le bâtiment à l’esthétique représentative du classicisme tardif, avec ses 57 travées de fenêtres, apporte une nouvelle dimension à l’architecture zurichoise.

Plan: wikipedia

Le langage formel et l’impératif d’air pur et de lumière ont marqué également les bâtiments sanitaires du Mittelland, comme par exemple l’hôpital du Lory d’Otto Rudolf Salvisberg et Otto Brechbühl à Berne (1926–1929). Le bâtiment en béton armé présente de grandes façades vitrées, des espaces de repos ouverts et fermés, ainsi qu’une terrasse en toiture pour prendre des bains de soleil.

Sanatorium de Davos-Clavadel, 1932. Le bâtiment combine les derniers développements médicaux avec la « vie libérée » de Siegfried Giedion.

Image: source inconnue

Les barres comme symbole du progrès dès 1945

La tendance à la rationalisation s’est totalement imposée durant les années 1930-1940. Les nouveaux bâtiments des deux cliniques universitaires de Bâle (1937–1945) et de Zurich (1941–1953) témoignent de cette évolution. Les deux plus grands hôpitaux de Suisse de l’époque avaient été conçus comme des barres, qui suivaient le principe des «chemins courts» grâce à leurs ascenseurs. Le nouvel hôpital de la Bourgeoisie de Bâle (aujourd’hui hôpital universitaire) de la communauté d’architectes Hermann Baur, Ernst & Paul Vischer ainsi que Bräuning, Leu, Dürig, fait figure de modèle pour les futurs hôpitaux d’après-guerre. Le complexe de bâtiments occupe une surface de 28’000 mètres carrés, dont un tiers a été bâti. Une barre de lits de huit étages en constituait le noyau, avec à côté un bâtiment de trois étages pour les soins. Les architectes avaient avant tout justifié ces mesures pour des raisons d’économies de coûts et de place. Les chambres étaient orientées au sud afin de bénéficier du maximum d’ensoleillement, avec vue sur le grand parc. La construction avait repris des éléments bien connus comme le pavillon des maladies infectieuses isolé, une terrasse en toiture ou encore une salle de repos. Mais avec la barre, les architectes ont défini un nouveau paradigme qui allait s’imposer dans les futures constructions d’hôpitaux et qui symbolisait le progrès technique et médical.  La structure exemplaire composée d’une barre de lits avec accueil et corps de bâtiments annexes plus modestes se retrouve également pour l’hôpital communal Triemli à Zurich ou l’hôpital cantonal de Baden.

Modularité et standardisation dans les années 1960 et 1970

La centralisation et l’automatisation croissantes des grands complexes hospitaliers correspondaient aux courants internationaux de la construction sanitaire débattus lors de conférences, comme en 1957 à Genève. A l’instar de la machine à habiter de Le Corbusier, les hôpitaux des années 1960 et 1970 étaient conçus comme des machines à guérir hautement technologistes, sensées accueillir les humains «défectueux» pour les «réparer». Le Corbusier a lui aussi réfléchi à la construction d’hôpitaux, quand il a conçu et construit en 1965 un hôpital à Venise. Le Venice Hospital se basait sur son système de proportions Modulor et voyait dans la chambre individuelle l’unité de base des soins. Les petites chambres sans fenêtre avec des puits de lumière devaient inciter les patientes et les patients à se promener dans les étages, conçus comme des ruelles vénitiennes, et à se déplacer pour explorer les places et découvrir les points de vues afin d’accélérer le processus de guérison.

On cherchait à augmenter les standards médicaux des hôpitaux en les truffant d’innovations techniques, depuis les toilettes murales jusqu’aux congélateurs dans les cuisines, en passant par le systèmes d’aération. Une entreprise anglaise a développé le «Modular Operating Theatre», une unité d’opération préfabriquée et démontable en éléments d’acier, pourvue de portes automatiques, climatisation, tableaux de pilotage intégré et divers appareillages et outils accessoires, dont le modèle de base pouvait être complété de façon modulaire par divers ajouts de soins spécialisés. A Saint Gall, on a tenté de flexibiliser la structure du bâtiment en réfléchissant dans un projet d’étude à un système constructif praticable à l’ensemble du site de l’hôpital cantonal.

Critique de l’hôpital moderne

Des critiques n’ont pas tardé à s’abattre sur les cliniques mastodontes de style international. Dès 1958, l’architecte zurichois Ernst Burkhardt a critiqué le manque de qualité des hôpitaux. Elle portait d’une part sur le fait qu’il s’agissait trop souvent d’extensions et non de nouvelles constructions, et qu’il en résultait d’épouvantables patchworks en termes architecturaux et urbanistiques. Et d’autre part, la mission de construire était tellement complexe et demandait tellement de ressources qu’il manquait souvent la capacité suffisante pour la conception. Une insuffisante intégration dans le complexe urbain donnait également lieu à des critiques. Pour Burkhardt, ces constructions industrielles «sans échelle», «figées» et «symétriques» étaient «inhumaines», parce que le patient risquait de s’y noyer en tant qu’individu.

Retour de balancier depuis les années 1990

A partir des années 1990, on a de nouveau commencé à construire des unités plus flexibles et moins chères en lieu et place des grosses structures mastoc et coûteuses. Cette évolution allait de pair avec la volonté d’augmenter à la fois l’efficience et la rentabilité du système de santé publique, qui s’est accompagnée d’une concurrence et d’une privatisation accrues. Mais les progrès rapides des méthodes de soins demandaient aussi une souplesse accrue des bâtiments sanitaires: car à cause de leur longue durée de planification, les hôpitaux contemporains étaient toujours en retard sur les avancées technologiques.

Il est en même temps clairement apparu que la santé et la guérison dépendaient non seulement du bien-être physique, mais aussi du bien-être psychologique. Une meilleure attention portée sur les besoins des personnes fait débat depuis quelques années sous le mot d’ordre «The hospitable Hospital» (l’hôpital convivial). Les patients ne sont plus transportés et réparés comme des voitures en panne, mais sont plutôt des touristes médicaux comparant les offres et les prix et qui veulent des infrastructures de haute technologie, une atmosphère chaleureuse et un service de niveau hôtelier.

Avec ces tendances actuelles orientées sur la convivialité, la globalité et l’intégration dans l’environnement urbain, les hôpitaux se rapprochent de nouveau de leurs racines du Moyen-Âge.

Compte tenu de la pression sur les coûts et de l’orientation sur les clients, les hôpitaux sont devenus des centres de soins offrant également des services et des loisirs, comme des séminaires sur la nutrition ou des cours de fitness. L’architecture fait l’image de marque et doit aussi favoriser la guérison en tant que «healing architecture».

Une autre tendance mène à une meilleure intégration des bâtiments sanitaires dans la structure urbaine. C’est ce que montre de façon exemplaire le projet helvético-néerlandais «Core Hospital», qui a remporté un concours d’idées en 2004. Le projet prévoyait que les hôpitaux assument en priorité l’offre hautement technologique des soins et que le reste des prestations soient externalisé à des fournisseurs bien connectés dans un environnement urbain centralisé. Avec ces tendances actuelles orientées sur la convivialité, la globalité et l’intégration dans l’environnement urbain, les hôpitaux se rapprochent de nouveau de leurs racines du Moyen-Âge.

Hôpital de la Bourgeoisie de Bâle (1937–1945).

Images: ETH

Modular Operating Theatre (1964). Maquette et salle d’opération

Images: source inconnue

Concept «Core Hospital» (2004).

Schémas: Itten Brechbühl

Auteur

Miguel Garcia est historien (lic. phil.) avec une spécialisation en ethnologie et psychologie sociale et un diplôme d’enseignement pour les lycées. En plus de son travail de professeur d’histoire, il travaille également sur des projets d’enseignement de l’histoire. Ses principaux domaines d’intérêt sont l’histoire de Winterthur et de la Suisse aux 19e et 20e siècles, ainsi que l’histoire contemporaine mondiale avec un accent sur les crises actuelles.

www.geschichte-winterthur.ch

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