Quel lien y a-t-il entre une favéla brésilienne et l’EPFL? Réponse: un prototype de pavillon en béton textile, construit au Smart Living Lab sur le site de bluefactory à Fribourg, et dont le système de construction modulaire doit permettre à terme de construire des bâtiments légers et bas carbone dans des favélas brésiliennes… et le reste du monde.

Le prototype du pavillon modulaire en béton textile sur le site du Smart Living Lab à Fribourg.

Image: © Graeg Eaves

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le béton est l’un des matériaux de construction qui a le moins d’impact sur l’environnement. Et si l’on en croit les dires de Karen Scrivener, professeure au Laboratory of Construction Materials (LMC) de l’EPFL, on peut encore considérablement en limiter les influences négatives. Soit en intervenant sur la chaîne de production, en substituant de l’argile cuite au clinker lors de la fabrication du béton, soit en recyclant le béton lui-même. Mais on peut aussi réduire l’impact des émissions carbone du béton tout simplement en en gaspillant moins: murs et dalles moins épais et réduction des déchets inutiles sur les chantiers.

Learning by doing

C’est cette troisième voie, inspirée de la technique de l’argamassa armada (ferrociment), développée par l’architecte brésilien João Filgueiras Lima, qu’ont choisi d’emprunter 26 étudiants en architecture et génie civil de l’EPFL et de l’Université Fédérale de Bahia (UFBA), au Brésil. Dans le cadre du programme d’enseignement interdisciplinaire «Projeter Ensemble» de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), et sous la houlette des architectes et chercheurs à l’EPFL, Patricia Guaita et Raffael Baur du Laboratoire ALICE, et leurs collègues en génie civil, Patrick Valeri et Miguel Fernández Ruiz du Laboratoire IBETON, et David Fernández-Ordóñez, ingénieur et conférencier invité à l’ENAC-IIC-IBETON et secrétaire général de la Fédération internationale de béton, les étudiants ont construit en deux semaines un prototype de pavillon de structure modulaire en béton textile. Incarnation de quatre année de cours et de recherches, le prototype est exposé aux intempéries et aux critiques des visiteurs depuis la fin de l’été 2019 sur le site bluefactory du Smart Living Lab à Fribourg. «L’enseignement ne peut pas exister sans recherche et les étudiants y contribuent en participant aux cours et aux workshops», souligne Patricia Guaita, du Laboratoire ALICE EPFL.

Béton textile

Construit sur la base des plans dessinés auparavant durant les cours, le prototype est constitué de poutres de fondation sur lesquelles viennent se fixer des piliers qui vont ensuite porter les coques servant de toiture. Avec une armature textile, on peut construire avec du béton beaucoup plus fin: la fibre de carbone (4 fois plus résistant et 5 fois plus léger que l’acier) ne corrode pas et on a un enrobage d’armature de 2 mm au lieu de 20-65 mm. «Avec un mortier à haute performance, on peut ensuite réaliser des éléments durables d’une épaisseur de 9 mm, soit environ 10 fois moins qu’avec du béton armé traditionnel», précise Patrick Valeri. Les éléments de fondation et les piliers ne posent pas trop de problèmes de moulage, mais les coques incurvées des éléments de toiture posent encore des problèmes, le béton liquide ayant une fâcheuse tendance à couler et ne se laissant que difficilement étaler sur la courbure du coffrage, même quand ce dernier est en position horizontale.

Les avantages du système modulaire

La structure porteuse faite d’éléments modulaires en béton textile présente plusieurs avantages: on peut les mouler facilement sur place, ils sont assez légers pour être portés par une ou deux personnes, on peut en assembler autant qu’on veut sur un ou deux étages, on peut remplacer un ou plusieurs éléments selon des besoins. «On pense au-delà de l’objet lui-même, dans une pensée systémique modulaire qui l’inscrit dans la durabilité: il est extensible selon besoins et démontable si nécessaire pour être transporté et remonté ailleurs», explique Raffael Baur.

Visée sociale et transfert de connaissances

En intégrant recherche et enseignement au sein d’un seul et même module d’enseignement regroupant architectes et ingénieurs, on produit une interdisciplinarité qui favorise l’émergence de l’innovation, tant au niveau de la production d’un nouveau langage architectural que de la création de nouveaux matériaux de construction et de techniques constructives. Et les connaissances acquises au fil de cours, des workshops et des échanges avec la Faculdade de Arquitetura e Urbanismo da Universidade Federal da Bahia Université Fédérale de Bahia (FAUFBA) au Brésil, doit permettre à terme à des habitants des favélas brésiliennes d’auto-construire des pavillons, voire de maisons, avec un système modulaire d’éléments en béton textile facile à transporter ou à produire sur place, dans les espaces souvent étriqués des favélas.

L’avenir dira dans quelle mesure ce projet multidisciplinaire aura contribué à réduire les émissions de CO2 dans la construction à l’échelle planétaire. Mais une chose est sûre: il aura au moins prouvé, grâce au travail enthousiaste de chercheurs et d’étudiants réunis, que le béton pouvait s’utiliser de manière durable grâce à la modularité, à la finesse des éléments préfabriqués et au réemploi possible des structures porteuses.

Plan d’étude du premier prototype, TRC Prototype Pavillon, Lausanne 2019.

Les étudiants à l’oeuvre lors du moulage d’une coque dans l’atelier popUP du Smart Living Lab.

Images: © Raffael Baur / Sergio Ekerman

Fin du workshop du prototype du TRC Prototype Pavillon au Smart Living Lab, 2019.

Image: © Graeg Eaves

Informations

Programme d’enseignement interdisciplinaire «Projeter Ensemble» de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), l’EPFL

Résponsable: Patricia Guaita et Raffael Baur, Laboratoire ALICE; Patrick Valeri et Miguel Fernández Ruiz, Laboratoire IBETON; David Fernández-Ordóñez, ingénieur et conférencier invité ENAC-IIC-IBETON et secrétaire général de la Fédération internationale de béton; architectes et chercheurs de l’EPFL